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Historique : Documentation

SOUTENIR

 

Lorsque je suis rentrée dans la salle où durant cinq années j’avais vécu tellement d’expériences, me sont revenus quelques moments clef. Je constatais un chauffage tout neuf et une moquette bien plus moelleuse que celle qui a accueilli mon corps frileux durant les exercices de relaxation ou de rêve éveillé. Je me suis même dit, « zut, j’ai oublié ma paire de chaussette » qui en ces lieux et dans mes souvenirs était indispensable pour une bonne présence aux cours. Cette réflexion a duré quelques secondes car s’installait déjà une collègue qui venait d’être invitée à présenter son mémoire. Sachant qu’une autre personne passerait encore également avant moi ensuite, je me disais que j’avais tout intérêt à rentrer dans l’écoute de leur exposé, histoire d’oublier le trac qui commençait à s’agiter en moi. Mais malgré le récit qui se déroulait en face de mes oreilles, je sentais mon corps qui tremblait de plus en plus. Dans mes bras et dans mes jambes une mollesse bouillonnante venait me dire que si je me levais là, je serai trop chamallow pour tenir sur mes jambes, et j’avais également l’impression que mes quelques feuillets allaient tomber par terre car trop lourds à porter. Et pour cause, ils représentaient pour moi toutes mes incertitudes. Ils étaient comme un pilier sur lequel je pouvais m’appuyer en cas de bug.

Alors, toute imprégnée de ces sensations, je me suis dictée un axe, celui de me tenir droite, de respirer et d’écouter ma collègue. C’est un peu comme si je ressentais toujours les symptômes du trac mais je m’en fis d’avantage l’observatrice. Ce qui me procura un sentiment, la sensation, l’idée d’être vivante, de sentir la vie bouillonner en moi, et de me dire, si seulement il y avait de tels moments important comme celui-ci plus souvent !

Plusieurs pauses ont rythmé ce que je ne peux pas vraiment appeler une attente, car j’étais déjà dans mon travail de soutenance. Durant ces pauses, je m’imbibais de cette maudite nicotine et en même temps, je m’appliquais à respirer. Un paradoxe qui me fut somme toute bien utile. Mais pas seulement. Car il y avait ce jour là, le temps que nous connaissons bien à Sementron. Celui qui d’ailleurs nous faisait toutes et tous (ou presque) avoir une double paire de chaussette. Donc, ce qui m’a également aidé, c’est ce vent, ce grand vent qui faisait chanter les marronniers et annonçait la prochaine chute et danse finale des feuilles de ces majestueux. Et là, ce grand vent, je le faisais rentrer loin à l’intérieur de moi. Et je sentais combien le vent attise le feu.

Et nous voilà à nouveau dans la grande salle. Là, mes faiblesses molles semblaient s’être atténuées. Et cela me rendais plus disponible à ce qui était entrain de s’effectuer devant moi. Et c’était bien. J’ai donc pu me nourrir de ce nouvel enseignement. J’étais là, dans l’école de la vie. C’est à ce moment que se concrétisait, au-delà de l’idée, que ce lieu est celui où j’ai fait l’expérience d’être, d’OSER. Et même si j’en avais partiellement conscience avant ce jour, c’est là, que cette permission qui nous est donnée dans cette école s’est ancrée en moi (j’allais écrire encrée, comme un tatouage indélébile). C’est donc également là, que j’ai jeté mes réticences à m’investir plus pleinement et que j’ai senti le besoin impérieux de faire partie du mouvement.

Puis, est arrivé le temps de ma place de soutenance. Nous rentrions tous dans la salle. Tout le monde s’installait. Quand j’allais m’asseoir aussi, je sentis que cela allait freiner mon élan. Pourquoi m’asseoir en effet alors que j’allais être appelé. Aussi, je me plaçais dans l’encadrement lumineux de la fenêtre, je ne tremblais plus, j’avais comme un axe qui me dictait naturellement une position : celle de soutenir, dans le respect de mon travail, de ma patiente qui était l’objet de l’étude, des personnes présentes, et de moi-même. Je me sentais droite. En revisitant ce moment si particulier, je constate comment honte, peur et doute n’avait plus aucune place en moi. Envolés ces sentiments qui m’avaient pourtant chamboulés précédemment.

Quand je fus donc appelée à me présenter devant le jury, un jury composé de si belles personnes et qui m’avaient tant nourri ces dernières années, j’ai éprouvé le besoin infaillible qu’il fallait lui faire honneur. Je me rappelle même avoir eu une pensée pour Manuel qui n’était pas en ces lieux, et ce fut ma façon à moi de le rendre présent.

Je pris alors le temps de bien m’installer. Et puis, la parole est venue. Toute simple. Et en même temps, et c’est peu commun en moi, avec rigueur. En effet, ce fut important pour moi de prendre en compte intérieurement toutes les personnes présentes, même celles qui étaient derrière moi. Je souhaitais être humaine dans mon discours. Je crois que c’est ce qui m’a fait me sentir bien.

J’ai accueilli les retours qui furent fait de mon travail. Celui qui m’a le plus touché fut celui que ma patiente venait, grâce à mon travail, de rentrer dans le réel et je me suis demandée comment le travail avec elle allait désormais s’articuler.

Puis il y eu de nouveau une pause où je retrouvais mon vent fougueux. J’étais fière. Là, j’avais accueilli la reconnaissance d’un travail que j’avais effectué et non des compliments qui auraient pu venir mettre de la lumière sur une image de moi abîmée. Ca y est, c’était finit ce temps là.

Tout le monde était rentré à nouveau dans la salle et je me retrouvais seule entourée de mon ami le vent. Je ne sentais de cet ami qu’un frisson acidulé, comme réveil et maintient de la sensation de vie. Deux personnes sont venues me chercher et je me suis laissée conduire près de mes professeurs. Etait arrivé le temps du rituel.

Que dire ici ? Le rituel est différent pour chaque personne. Nous savons comme il vient donner du sens au passage. Il se vit. Pour ma part, ce fut une bousculade qui agit sur trois plans différents, celui du corps car poussée et maintenue à la fois, celui de l’émotion qui s’est ouverte devant cette créativité que m’offraient là mes professeurs, et intellectuelle aussi, par les mots entendus, dans tous les sens, comme un charivari structuré, une bousculade d’idées.

Ici, l’histoire ne s’arrête pas. Elle commence. Ce cheminement qui m’a conduit à sentir mon ossature durant cette soutenance est sans doute le fruit de l’expérience de la formation dans sa totalité. C’est au moment de la soutenance que j’ai senti concrètement ce maintien intérieur. Ce soutien intérieur. Soutenir son travail, sa patiente, soi, sa formation aussi, défendre ce que l’on y a appris et le transmettre en témoignage et en validation, être dans le mouvement. C’est un positionnement.

Mylène Berger