


POETES, UTOPONS !
Il est des actes qui font du bruit, imbus de leur sonorité et d’autres, irréductibles, qui imposent le silence. Là est la poésie, la voix des irréductibles, celle qui ouvre des chemins lumineux dans la nuit, qui imagine, qui utope. Oui, avec les mots de la langue, le poète forge des mots nouveaux (pas des nouveaux mots), des mots irrigués de son sang. Il fonde une nouvelle langue, rattachée à la première, mais qui s’en est émancipée.
A l’origine l’utopie ou « no topos », est un « sans lieu », une construction imaginaire fondée sur l’idéal d’un rêveur, à priori irréalisable. Je fais référence à Platon, Thomas More, Saint Simon… grands auteurs d’utopies, parfois éclairées, souvent terrifiantes…
Aussi je détourne le mot et je le verbe, le mettant ainsi en vie et en mouvement : utoper. Dans ce « sans lieu » de la poésie sont appelés tous les lieux, tous les non-encore advenus. Et si ce lieu était justement le nôtre ? Poètes du vocable, poètes du crayon-pinceau, poètes du ciseau-maillet et des dix doigts, poètes du corps dansant, poètes de l’arpège… Nous les poètes cheminant aux côtés d’âmes sensibles, nous qui écoutons leur intime sonorité vibrante, aujourd’hui encore avons cette place d’utopeur, de rêveur d’avenir ascendant, de découvreur et d’ouvreur de fenêtres dans des nuages de plomb.
« Un jour pourtant, un jour viendra couleur d’orange… Un jour d’épaule nue où les gens s’aimeront… Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche » utopait Aragon. Seule une vision poétique du monde, donc nouvelle, donc déconnante, donc arrogante, donc dérangeante, inaugurera. Les anecdoteurs, les réducteurs tenteront comme d’habitude de la domestiquer pour la traire. Le peu qu’ils en garderont pour transformer le monde… sera toujours cela de gagné. Utopons cent pour qu’ils en gardent un !
Toi, moi, sommes déjà en marche, ni naïfs ni vindicatifs, tout simplement vivants et aimant profondément la vie. Nous sommes de ceux qui chantent sous la pluie, parce que la terre aime la pluie. La poésie est partout, belle, exigeante, elle nous nourrit et nous demande.
Continuons à dire oui à la parole à son zénith, à l’intuitive clarté, car la poésie nous sauvera.
Nicole Derda